A la recherche d'une nouvelle renaissance
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Conférence faite devant l'Académie Européenne des Sciences, des Arts et des Lettres les 21, 22 et 23 Septembre 2000 à Bruxelles (Belgique), sur le thème  "Science, Technologie et Art à l'aube du Troisième Millénaire pour une Culture de la Paix"

Ce texte peut être considéré comme mon testament d'artiste.


Bonjour ! Je souhaite en premier lieu remercier très vivement notre Président, le Professeur Daudel, ainsi que Madame Lemaire d'Agaggio, notre Secrétaire-Générale, de m'avoir fait l'honneur de m'inviter à faire un exposé dans l'esprit du thème de cet atelier.

Je m'appelle Guy Levrier. Je suis peintre, ou, du moins, je m'efforce de l'être, car l'incertitude en la matière est un thème fort de notre époque, comme nous allons le voir. La tradition académique veut que nous publiions gratuitement les fruits de nos recherches, en les soumettant au jugement de nos confrères, et en partageant entre nous nos découvertes. C'est la raison pour laquelle mon projet est purement philanthropique, c'est-à-dire que je suis un peintre gratuit : en cherchant Levrier Guy ou Guy Levrier sur Internet, vous accèderez à mes sites, dans lesquels vous aurez tout le loisir de choisir parmi environ 250 images de mes toiles, et à en disposer comme bon vous semblera. Vous pourrez même les retravailler et les interpréter à votre manière si vous le souhaitez.

Cette première toile que vous voyez ici est ma dernière œuvre figurative, que j'ai peinte en 1983. Ensuite j'ai basculé dans l'abstrait, un Dimanche, sans bien comprendre pourquoi, et j'y ai trouvé une aventure d'une grande force, dans laquelle on n'est plus sûr de rien. ] En observant ce qui se faisait par ailleurs, j'ai constaté, parallèlement à une création très authentique et d'une grande valeur esthétique, une sorte de délire collectif, une véritable perte de contrôle d'elle-même de la société, qui m'a incité à appeler de mes voeux une renaissance profonde, ce qui est l'objet de cet exposé, que j'ai intitulé :

A la recherche d'une nouvelle renaissance pour une culture de paix

Le théorème de Bell démontre que la physique quantique ne peut s'interpréter en tant que théorie déterministe locale : on l'a considéré comme " la plus profonde découverte de la science  ". Il apporte la preuve que toute réalité ne peut être que non-locale, c'est-à-dire que nous vivons dans un univers holistique, dans lequel le tout agit sur la partie et vice-versa : cette interconnexion est ma source d'inspiration.  En effet, dans le feu de l'action de la création artistique, on se sent mis en relation avec tout l'univers, avec une immense force omniprésente, avec d'étranges suggestions et sollicitations totalement inexplicables, comme en témoignent les innombrables travaux des psychologues qui ont conclu au mystère complet de ce processus.

Donc, en ce qui me concerne personnellement, je ne cherche pas à illustrer abstraitement par des tableaux certaines découvertes scientifiques, mais j'ai été attiré par la physique quantique pour deux raisons. En premier lieu, j'y ai trouvé toutes les métaphores dont j'avais besoin pour " expliquer " mon aventure personnelle, ontologique, en art, par la peinture. J'ai été particulièrement fasciné, en effet, par le fait que, puisqu'au niveau microscopique notre observation de la matière perturbe le phénomène observé, nous n'avons aucun moyen de connaître véritablement la totalité du réel en soi.  Or, ma peinture abstraite, par l'absence de sujet, est une question posée : qu'est-ce donc que le réel ?

Tout se passe comme si la nature, face à l'avancée régulière de nos connaissances, conservait toujours sa part de mystère. Par ailleurs, ce qui est pour nous le plus remarquable dans notre univers, qui est fait de cette même matière, c'est sa beauté. Par conséquent, en tant que peintre, je ressens que la beauté, loi universelle de la nature, est pour nous plus signifiante que le réel, et que nous avons donc plus de certitudes vis-à-vis du beau, que nous n'en avons vis-à-vis de ce réel. Artistes, nous ne savons pas ce qu'est le réel, mais, puisque nous participons à sa création, au moins, faisons le beau !

En second lieu, la physique quantique est également pour moi l'avancée scientifique qui a rompu avec l'approche exclusivement matérialiste de la science, selon le célèbre adage " Science sans conscience n'est que ruine de l'вme ",  ce que des scientifiques contemporains tels qu'Amit Goswami expriment ainsi : " L'élément central de ce nouveau paradigme est la reconnaissance que la science valide une idée ancienne, selon laquelle la conscience, et non la matière, est la base de tout être."

C'est la facette spiritualiste de la matière : Einstein estimait que la science est une passion qui exige " l'état d'esprit des moines ... à la recherche d'un univers de contemplation et de compréhension. " Donc, en tant qu'artiste ulcéré par la décadence de l'art contemporain, d'une part, et admirateur de la science d'autre part, j'ai réfléchi au parallèle que nous pourrions faire entre les démarches des scientifiques et celles des artistes au cours des quatre-vingts dernières années, afin d'en tirer des conclusions quant à la manière dont nous pourrions nous sortir de cette crise.

J'ai été frappé par la prise de position de Malevitch vis-à-vis de son art, la peinture, lorsqu'il a exposé son "Carré blanc sur fond blanc " en 1918, mise en parallèle avec celle d'Heisenberg, l'inventeur du principe d'incertitude en 1925, vis-à-vis de la science.

Dans une première approximation, en effet, en tant qu'homme du grand public, j'attends de l'artiste qu'il me donne de l'art, dont le critère est pour moi le beau, et du scientifique qu'il me donne de la science, dont le critère est pour moi la certitude démontrée, dans la connaissance.

Or, je constate ici la validité du concept de Zeitgeist, comme disent les Allemands, c'est-à-dire de l'air du temps, en Français, ce que nous pourrions appeler notre conscient collectif, par le fait qu'en 1918 Malevitch nous propose de l'incertitude en art, et Heisenberg de l'incertitude en science, ou, disons, du moins, la limite de ce que la science peut connaître, en 1925.  Je suis sensible, dans le cas présent, à la force du thème de l'incertitude au niveau de la métaphore. L'artiste est, du reste, toujours en avance sur le scientifique, car il a une totale liberté que ce dernier n'a pas. Mais cette totale liberté a un prix, qui est une prise de risque considérable, susceptible d'aboutir à l'échec également total, à rien, au néant stérile. Malevitch, en effet, écrit, en 1915, dans le cadre de l'exposition du Suprématisme : " La peinture est dépassée, le peintre n'est plus qu'un préjugé du passé ". A l'opposé, le scientifique, épris de connaissances et de réalisations concrètes, est protégé par la nécessité de faire valider ses théories par ses confrères, d'une part, et par l'expérimentation, d'autre part.

Je ne puis m'empêcher de penser que, s'il avait bien voulu être sincère dans l'appréciation de son oeuvre, et à l'écoute des commentaires de son public, qui est en dernier ressort le destinataire final de son œuvre, Malevitch n'aurait certainement pas poursuivi dans la voie du nihilisme.  Car cet auto-contrôle " par l'intermédiaire des autres " fait partie intégrante du processus d'inspiration et du travail de création de l'artiste.

Métaphoriquement, tout se passe donc ici comme s'il existait une sorte de sphère supérieure, telle que la sphère des mathématiques de Platon et la noosphère de Teilhard de Chardin, dans laquelle existeraient des concepts que tout chercheur viendrait explorer afin de mener à bien son projet. Selon sa structure mentale, ses dons particuliers et sa volonté personnelle, son travail aboutirait à une oeuvre d'art ou à une oeuvre de science, mais avec une similitude de thème d'inspiration autour d'un même concept général, dans le cas présent, incertitude en art autant qu'en science. L'incertitude est, là encore, l'aveu du mystère.

Tant qu'à être sensibles aux thèmes forts de notre Zeitgeist contemporain, il y a deux autres thèmes, très actuels, que nous serions peut-être bien inspirés de concrétiser : celui de la repentance, et celui de l'esprit de gratuité, tel que ce dernier est vécu, en particulier sur l'Internet.

Si l'on en juge par la manière dont le grand public exprime ses rejets de l'art contemporain, en particulier de ce qu'il est convenu d'appeler " le non-art ", il semblerait en effet que l'heure de la repentance ait sonné pour certaines formes d'art que nous pratiquons depuis plus de quatre-vingts ans. Il faut bien reconnaître qu'une bonne partie de notre art a été un ratage, et, ce qui est plus grave, qu'il a fait souffrir, de propos délibéré. Faut-il une fois encore pour cela définir ce qu'est l'art ? Certes non, si l'on en croit les commentaires manuscrits dans les livres d'or des expositions, qui témoignent d'une sorte de reconnaissance physique, émotionnelle, instinctive, sans connaissances préalables, de ce qui est et de ce qui n'est pas art.

DUn consensus sur la définition en la matière est-il donc bien nécessaire ? Dans la relation à l'art, comme dans tout le vécu humain, il existe une intelligence cognitive, qui est celle des connaissances, et une intelligence émotionnelle, qui est celle des sentiments.  On les oppose, du reste, fréquemment. Sans aucun doute, le mathématicien, le géomètre, l'architecte, l'intellectuel trouveront un plaisir certain à la compréhension des lois sous-jacentes à la création de l'œuvre, mais on ne peut plus dire, à notre époque, " que nul n'entre ici s'il n'est géomètre ". Autant nous acceptons que l'intellectuel jouisse en pareil cas des fruits de sa connaissance, autant il est irrecevable qu'il cherche à convaincre son auditoire qu'il ne pourra éprouver de plaisir esthétique qu'en passant par la compréhension de l'œuvre. Combien de fois entendons-nous dire actuellement " à la limite, cette musique contemporaine est faite pour être lue dans la partition plutôt qu'écoutée ".

Devant tout art novateur, le public va certes demander à l'historien, au critique, une explication, car il craint de ne pas comprendre, croyant que seule la compréhension lui permettra d'accéder à l'œuvre.  Il ne fait pas confiance, de ce fait, à son aptitude à ressentir. Ainsi, combien de fois encore voyons-nous dans les expositions des personnes défilant de profil devant des chefs-d'œuvre, en portant toute leur attention sur ce que l'on a pu écrire sur ceux-ci, et en ne leur accordant qu'un regard furtif.

La compréhension consécutive à une initiation ajoute sans aucun doute au plaisir esthétique, mais elle ne doit pas en usurper l'exclusivité, sous peine de faire perdre à son destinataire, s'il n'a pas compris, le bénéfice de l'émotion pure dont il serait parfaitement capable spontanément. Or, c'est précisément à ce genre de terrorisme intellectuel qui cherche à convaincre le public que cette compréhension est réservée à une élite dont il est exclu, qui est à l'origine d'un art du paradoxe, du non-sens, du négativisme, de la provocation et de vaines polémiques, que l'on peut attribuer tant de rejets que nos gouvernements s'en émeuvent et commandent des études sociologiques à son sujet.  Donc, plutôt que de créer, comme c'est le cas actuellement, un climat d'opposition entre intelligence cognitive et intelligence émotionnelle, il convient de se persuader de l'intérêt que nous avons tous à favoriser l'émergence d'une complémentarité entre l'une et l'autre.

Car peut-on véritablement espérer faire bénéficier l'humanité de l'immense apport de l'art, par la création soit d'un climat d'exclusion mutuelle de ces deux formes d'intelligence, soit d'un sentiment d'amour-haine vis-à-vis de cet art ? Dans notre société déshumanisée qui a perdu le contrôle d'elle-même et qui a grand besoin de la sérénité que seule la spiritualité peut lui apporter, nous avons créé l'un et l'autre par le snobisme pseudo-intellectuel et l'appвt du gain. Nous serions donc bien inspirés de nous en repentir publiquement pour reconnaître nos erreurs et de rechercher une autre voie.

L'argent. Parlons de l'argent. Il a été très frappant de constater à quel point la naissance de l'Internet tel que nous le connaissons aujourd'hui s'est faite dans un climat de gratuité et de bénévolat, à l'échelle mondiale, tant au niveau des informaticiens créateurs de logiciels qu'à celui des artistes, dont je suis, qui ont mis tout le fruit de leur travail sur le réseau, sans aucun but lucratif. Cette activité se développe de façon explosive et dans l'enthousiasme de tous les intéressés, qu'ils appartiennent à des cercles restreints spécialisés ou au grand public, dans un esprit extrêmement prometteur d'une véritable renaissance, d'une volonté d'authenticité désintéressée au profit d'une nouvelle forme de société sans aucun doute plus humaine. Sachons donc tirer les leçons qui découlent indirectement de la magnifique réussite de notre technologie au profit d'une culture de la paix dans les esprits.

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